Remise du prix Ilan Halimi : discours de Gabriel Attal
Le Premier ministre a présidé, le 14 février 2024, la cérémonie de remise du prix Ilan Halimi pour « une jeunesse qui s’engage contre la haine, une jeunesse qui fait vivre l’unité républicaine ».
Transcription du discours de Gabriel ATTAL
“Mesdames les ministres, chère Nicole, chère Sarah,
Mesdames et Messieurs les parlementaires et les élus,
Madame la ministre, chère Marlène,
Monsieur le Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti LGBT, cher Olivier,
Monsieur le Président du CRIF, cher Yonathan ARFI,
Monsieur le grand Rabbin de France, cher Haïm KORSIA,
Monsieur le président du Fonds Social Juif unifié, cher Ariel GOLDMANN,
Mesdames et Messieurs,
je pourrais citer l’intégralité de cette salle, tant vous êtes toutes et tous engagés dans des institutions ou non, pour la très belle et noble cause qui nous réunit aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est d’abord l’occasion, toujours de se souvenir d’Ilan HALIMI. Ilan HALIMI aurait eu aujourd’hui 41 ans ; 41 ans, une vie de famille et d’accomplissement, une vie de rires, de rencontres et encore tant d’années devant lui. Mais il en fut autrement. Ilan HALIMI, à 23 ans, un piège, un enlèvement, la torture, la barbarie, le supplice, la mort. Une vie volée par la haine. Ce qu’a subi Ilan HALIMI, beaucoup l’ont dépeint, beaucoup l’ont décrit, mais je crois que personne ne peut réellement l’imaginer. Ces jours-là, une fois de plus, une fois encore, les limites de l’humanité ont été touchées. Et ces jours-là, une fois de plus, une fois encore, c’est armé par l’antisémitisme que des barbares ont agi. Lire quelques pages du livre bouleversant de la mère d’Ilan, Ruth HALIMI, écrit avec Émilie FRÈCHE, présidente du jury — je l’excuse aussi. Elle m’a écrit, elle avait un déplacement prévu de longue date à l’étranger — lire quelques pages de ce livre suffit à s’en convaincre.
Ilan HALIMI n’est pas seulement la victime d’un guet-apens ou la violence d’un drame inouï. Il a été la victime de la haine antisémite. Une haine qui vient de loin, une haine nourrie par l’ignorance. Le supplice d’Ilan HALIMI est une blessure pour la République, et il n’est malheureusement pas le seul. Le fléau de l’antisémitisme ne s’est pas éteint, loin de là. Après Ilan, il y a eu l’école Ozar Hatorah, il y a eu l’Hyper Cacher, il y a eu Mireille KNOLL. Après Ilan HALIMI, il y a eu 11 Français tués parce qu’ils étaient juifs. Quand j’étais ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, j’échangeais souvent avec des jeunes dans des établissements scolaires sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Et beaucoup de jeunes, je dois le dire, il faut se dire les choses, on est tous en contact avec notre jeunesse, me disaient : évidemment, on est contre l’antisémitisme et on a toujours l’impression que vous en parlez plus que les autres formes de discrimination ou de haine. Et ce que je leur rappelais systématiquement, c’est qu’évidemment, on doit combattre toutes les haines. Évidemment, toutes les discriminations sont combattues. Mais on estime que les Juifs représentent, je crois, 1 % de la population française. Mais la moitié des actes racistes sont des actes antisémites. C’est ça, la réalité qu’il nous faut sans cesse rappeler, expliquer dans nos échanges avec la jeunesse notamment. Aujourd’hui encore, en France, l’antisémitisme cible, injurie, attaque et parfois tue. Et la leçon de ce drame, la leçon de ces drames, c’est que le combat continue, qu’il ne faut jamais baisser la garde, c’est qu’il ne faut jamais céder à ceux qui minimisent ou tentent d’excuser.
Eh oui, nous vivons une période troublée. Le 7 octobre, le terrorisme le plus monstrueux s’est abattu sur Israël. Le Hamas a tué, torturé, enlevé des femmes, des hommes, des enfants et des personnes âgées avec une monstruosité et une jubilation qui glace le sang. Olivier, tu faisais référence tout à l’heure au très bel hommage que nous avons rendu à Robert BADINTER aujourd’hui. Je crois que dans les leçons du combat de Robert BADINTER, il y a notamment le fait qu’à la fin, il y a toujours quelque chose, a priori d’humain, au fond de nous, et qu’on peut toujours, finalement, chercher à toucher le plus près possible cette part d’humanité. Et je pense qu’une manière de la toucher, c’est probablement de faire ce que Emilie FRÈCHE a fait dans la vidéo, c’est d’être très factuel et de raconter ce qui s’est passé, raconter les choses, comme l’ont fait les jeunes, par exemple, aussi, sur la déportation. J’étais, comme beaucoup ici, à l’hommage qui a été rendu aux victimes françaises de l’attaque du 7 octobre. J’ai échangé avec les familles. Il faut entendre ce que racontent les familles. Ce père dont la fille aimait danser, aimait faire la fête, elle s’était cassé la jambe, elle avait une jambe dans le plâtre. Elle lui a dit qu’elle allait au festival. Alors, il me raconte, il me dit, je lui ai dit, « Mais c’est bizarre, tu vas aller à un festival où on danse alors que tu as la jambe cassée. » Elle lui a répondu en riant, « Oui, mais je danserai sur une chaise. » Il a reçu, la dernière manifestation de sa fille, une vidéo d’elle effectivement qui dansait, assise sur une chaise avec ses amis autour. Et puis, les terroristes sont arrivés et tous ses amis sont partis en courant, mais elle n’a pas pu courir parce qu’elle avait la jambe dans le plâtre. Il faut écouter ce père bouleversé évidemment et traumatisé à l’idée que si peut-être, il lui avait dit plus fortement « Ne vas pas à un festival alors que tu as la jambe cassée », peut-être qu’elle serait encore avec lui. Il faut l’écouter vous raconter qu’elle s’est réfugiée dans une ambulance qui était stationnée pas très loin, que les terroristes ont fait exploser l’ambulance et que le seul enterrement qu’il a pu faire pour sa fille, ce sont les trois dents qui ont été retrouvées sur scène, sur la scène du crime. Il faut écouter, il faut dire tout cela parce que je crois profondément que c’est aussi en montrant cette barbarie, en montrant à quel point elle est inhumaine, profondément inhumaine, que nous arriverons à toucher au cœur nos concitoyens. Ce qui glace le sang, c’est évidemment cela, c’est aussi l’explosion d’actes antisémites sur notre territoire qui s’en est suivi. C’est de lire « Mort aux Juifs » tagués à Strasbourg, de lire « Tuer des Juifs est un devoir » peint sur les murs de Carcassonne, de voir des étoiles de David comme un écho terrible à l’histoire sur les façades de maisons de magasins en région parisienne, c’est de penser qu’en trois mois, il y a eu autant d’actes antisémites qu’au cours des trois dernières années. Enfin, ce qui glace le sang, c’est le silence assourdissant de certains, guidés par les calculs les plus cyniques. Et, au-delà du silence, les propos de certains qui ont osé qualifier les auteurs de ces actes de résistants, qui refusent de reconnaître que les victimes de ces actes l’ont été parce qu’elles étaient Juives.
Mesdames et Messieurs, une fois que je dis tout ça, évidemment, il y a quelque chose d’un peu déprimant, mais pourtant, c’est le message que je veux passer aujourd’hui, il faut qu’on garde collectivement espoir. Et moi, je crois profondément qu’on peut garder espoir. D’abord, on peut garder espoir puisqu’on a vu aussi les Français se dresser face à l’antisémitisme, à la haine après le 7 octobre. Je pense notamment à la marche du 12 novembre, mais à d’autres manifestations très importantes. Il faut garder espoir parce que nous connaissons notre détermination, celle de l’État, celle du Gouvernement pour protéger les Français de confession juive, les lieux de culte, les cimetières, notre détermination va renforcer notre droit. Il faut garder espoir parce que nous connaissons l’engagement des forces de l’ordre pour lutter contre le fléau de l’antisémitisme.
Il faut garder espoir parce que nous connaissons la détermination de la justice à condamner avec fermeté tous les auteurs d’actes antisémites. Il faut garder espoir, enfin, parce que vous êtes là et parce que vous toutes et vous tous, ici, vous êtes mobilisés dans les fonctions qui sont les vôtres, dans les engagements qui sont les vôtres. Et vous gardez espoir. Sinon, on ne serait pas réunis ici aujourd’hui, sinon, ces très beaux projets n’auraient pas été portés. Et à travers vous, à travers les projets qui ont été portés, je vois une jeunesse qui s’engage contre la haine, une jeunesse qui fait vivre l’unité républicaine pour autant qu’on lui en donne les moyens et qu’on l’accompagne dans ce chemin-là.
La bataille contre l’antisémitisme, elle se joue aussi dans les mentalités. Aujourd’hui, les clichés sont légion, les idées reçues demeurent, génération après génération. Ça a été dit. Aujourd’hui encore, il suffit d’un nom pour faire l’objet d’attaques. Alors, nous devons agir dans tous nos territoires, agir dans nos écoles, agir dans nos universités. Nous devons parler, faire comprendre à l’heure où le président de la République appelle à « un réarmement civique », je vous le dis, il passe notamment par un combat sans merci contre le racisme et l’antisémitisme. Savoir rejeter la haine, c’est aussi un savoir fondamental, au même titre qu’écrire, lire et compter. C’est en ce sens, et c’est un des exemples que nous avons lancés à partir de cette année, des temps dédiés à l’apprentissage de l’autre, de la différence, de l’altruisme. On a parlé de cours d’empathie. Je n’aime pas beaucoup ce terme. Ça a été porté notamment dans la lutte contre le harcèlement, mais ce qu’il y a derrière, ce sont des temps d’apprentissage dès le plus jeune âge sur ce qu’est la différence, ce qu’est l’autre, l’estime de soi, l’estime des autres. Parce que c’est aussi le rôle de l’école, évidemment d’apprendre tout cela parce que malheureusement, il y a beaucoup de familles, où on ne l’apprend pas.
Il faut en revenir aux pères fondateurs, aux lumières disait que l’école, c’est l’instruction de l’esprit, c’est aussi l’éducation du cœur. Moi, je crois beaucoup à cela et 1 200 écoles ont lancé ces temps dédiés. Cher Nicole, on souhaite le généraliser à la rentrée prochaine, évidemment. Je crois profondément sur le long terme à cette action. C’est aussi le sens du prix Ilan HALIMI qui récompense pour la sixième année au niveau national des jeunes qui mènent des projets pour sensibiliser leurs camarades à la lutte contre la haine. Je le dis, cette initiative est absolument majeure, nécessaire, salutaire.
Et je veux remercier et saluer Jérôme GUEDJ qui avait créé ce prix lorsqu’il était président du conseil général de l’Essonne. Je veux remercier les équipes de la délégation interministérielle chère à Olivier KLEIN, Chère Élise FAJGELES dans la mobilisation et chaque année totale pour organiser ce prix, mais beaucoup plus largement pour porter nos politiques publiques de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations, mais surtout à tous les jeunes qui ont mené des projets dans le cadre de ce prix. Je veux dire « merci ». Quand je vois la variété des projets qui ont été soumis dans le cadre scolaire, universitaire, associatif, dans les domaines du sport, de la culture, de l’histoire, à travers la réalisation de podcasts, de films, de livres, d’expositions, de spectacles par le recueil de témoignages ou la recherche d’archives, je me dis que nous pouvons avoir confiance dans l’avenir.
Le mot fraternité est trop souvent le parent pauvre de notre devise républicaine. Chère Fabienne SERVAN-SCHREIBER. Pourtant, sa force est sans pareille. La fraternité, c’est quelque chose qui nous unit et nous rassemble. La fraternité, c’est le ciment de la République. C’est ce qui fait de nous non pas 68 millions de personnes, mais le peuple français rassemblé autour de valeurs communes. Dans chacun de vos projets, vous faites vivre cette fraternité, vous lui donnez un écho et un corps. Vous montrez son importance et sa noblesse. Que vous veniez de Saint-Malo, de Givors, d’Aix-Marseille ou que vous soyez suivi par la Mission locale de Limoges, vous avez porté ces valeurs-là, vous succédez à des collégiens de Dijon, à des jeunes d’un centre pénitentiaire pour mineurs situé dans l’Oise dans une édition précédente. Vous venez des quatre coins de la France, vous avez des origines, des religions, des parcours de vie différents. Mais au fond, vous vous retrouvez autour de l’essentiel notre République et ces valeurs. Je le dis, vos projets sont très importants et vous avez été reconnus pour cela avec les prix.
Mais finalement, tous les projets qui ont été portés sont importants parce qu’autour de tous ces projets, il se passe des choses dans des établissements scolaires et il en reste quelque chose. Quand j’étais ministre de l’Éducation nationale, après l’attaque du 7 octobre, j’avais, à l’occasion d’une réunion avec les rectrices et les recteurs, je crois que c’était au mois de novembre, demandé qu’on fasse une plus grande publicité de ce concours Ilan Halimi pour qu’il y ait davantage de projets qui soient portés que les années précédentes. Je crois que l’année dernière, il y avait 43 projets qui avaient été déposés. Cette année, nous sommes à 45. Autant dire que — je ne dirai pas que je n’ai pas été entendu évidemment, j’étais ministre de l’Éducation nationale — probablement que mon appel intervenait trop tard dans l’année dans le calendrier de ce prix pour que l’on puisse vraiment arriver à booster les choses.
Mais je le dis ici, l’important, c’est évidemment les prix et vous les avez mérités. Mais l’important, c’est aussi le nombre de projets qui sont portés, parce que c’est ça qui change les choses sur le terrain. Et donc, chère Nicole, il y a encore du temps dans l’année et donc je fixe un objectif ici en tant que Premier ministre, je veux qu’on ait doublé le nombre de candidatures l’année prochaine pour ce prix Ilan Halimi, et je suis sûr que nous y arriverons.
En préparant cette rencontre et ça a été dit ici, on m’a dit que certains d’entre vous n’avaient, je cite, jamais entendu parler de la Shoah avant de vous lancer dans ce projet, et ça a été rappelé il y a un instant. C’est évidemment un nouveau signal d’alerte. L’ignorance, c’est le début de l’oubli et de la négation. Que l’on puisse ignorer l’existence de la Shoah, c’est le terreau pour toutes les négations et pour tout l’antisémitisme. On ne peut pas l’accepter, on ne peut pas s’y résoudre. En tant que ministre de l’Education nationale, j’avais affirmé ma volonté que toute l’histoire puisse être connue, enseignée dans chaque classe de la République sans aucun chapitre tronqué. C’est le travail que nous continuerons à mener avec Nicole BELLOUBET évidemment. Je mobiliserai personnellement tous les moyens pour la mise en œuvre du plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme qui avait été annoncé en fin d’année dernière, en particulier pour les mesures qui relèvent de l’école. Et je veux notamment renforcer le travail sur l’histoire et la mémoire.
Si l’on ne fait pas vivre la mémoire, elle s’efface et le travail, encore une fois sur l’histoire des déportés de Saint-Malo est absolument majeure à ce titre. Et je repense ici au mot de Simone Veil qui n’employait pas l’expression devoir de mémoire mais préférait, je cite, « un devoir d’enseigner, de transmettre. Là, oui, il y a un devoir », disait-elle. Nous devons en être dignes. Chaque élève devra bénéficier d’au moins une visite d’un site de mémoire et d’histoire au cours de sa scolarité. Je pense par exemple au Mémorial de la Shoah. Mais il y a aussi le camp des Milles qui a été évoqué, évidemment, bien d’autres lieux. Tous les jeunes du Service national universel et les étudiants de l’enseignement supérieur devront également y être sensibilisés. Alors que les voix des derniers survivants s’éteignent peu à peu. Nous devons faire connaître leur histoire, faire savoir ce qu’ils ont vécu. C’est à notre jeunesse, c’est à vous de prendre le témoin. Nous devons être à la hauteur. C’est la condition pour éviter que l’histoire ne se répète, pour éveiller les consciences et faire comprendre les tréfonds dans lesquels la haine peut précipiter.
Évidemment, l’enseignement ne peut pas tout et nous allons continuer à être plus efficaces dans la lutte contre ce sentiment d’impunité dont bénéficient encore trop souvent les promoteurs de la haine. Dans la rue, avec le renforcement de la présence d’effectifs de police, de gendarmerie, un système de prise de plainte, beaucoup plus adapté en ligne, là où la haine avance masquée, nous faisons des progrès importants avec la détection des contenus plus systématiques, notamment grâce au signalement par les utilisateurs, grâce à la création du pôle national de lutte contre la haine en ligne au sein du parquet de Paris, qui traite des affaires les plus importantes et les plus complexes en la matière. Marlène SCHIAPPA avait beaucoup fait progresser les choses de ce point de vue-là encore à l’augmentation des effectifs des enquêteurs de la plateforme Pharos. Je veux aussi qu’on utilise mieux les stages de citoyenneté, que l’on soit plus exigeants sur leur contenu pour mieux prévenir la récidive d’actes de haine, en particulier racistes et antisémites.
Toutes ces mesures sont très concrètes. Elles n’ont qu’un seul objectif : que tous nos compatriotes, sans considération de genre, d’origine ou de religion, puissent avoir une vie paisible et ne subir ni violence ni discriminations.
Mesdames et Messieurs, nous en sommes tous convaincus ici. Croire que la lutte contre l’antisémitisme serait un combat du passé serait une très grave erreur. La lutte contre l’antisémitisme est malheureusement encore dramatiquement d’actualité et l’actualité nous le rappelle chaque jour. C’est un combat de tous les jours. C’est un combat de tous les instants, un combat qui ne s’arrêtera pas tant que la haine continuera à s’afficher. Alors nous continuons et nous continuerons et ensemble, grâce à des projets comme ceux que nous avons vus aujourd’hui.
Je suis certain que nous y arriverons.
Merci à tous et bravo à tous !”